Nous marchons ensemble sur ce qui est encore le chemin des Courtils. Il est étroit, délimité par deux haies, plein d’escargots les jours de pluie.
Ici tous les métiers : ça commence par la plus belle ferme du village, chez Migonney-Gazon. A hauteur du numéro 17, « on va au lait » chez Jacoulet, chez Rollet, plus tard chez Voidey. La mesure remplit les bidons avec toujours la « p’tite goutte par-dessus ». Si on avance un peu, on reconnait la maison de pierre bleue et jaune de chez nous de la famille Engler. Ancien officier, il était Inspecteur du travail. Les éclats de verre au- dessus du mur d’enceinte nous impressionnaient. Plus tard, c’est Monsieur Cattin, pharmacien, qui y demeura avec les siens. Depuis peu de temps tout est démoli… Au virage, juste en face, c’est l’atelier de notre père Topenot, avec sa même casquette, sa cigarette roulée écrasée au coin des lèvres et jamais allumée. C’est le temps où on répare les choses. « Je suis tout seul là au milieu », comme il disait, « alors le travail ne manque pas ! » Aimé de tous, c’est notre cordonnier.
Et puis, toujours du même côté, les jolies petites maisons fleuries des Tisserand, Opériol, la famille Humbert. Plus loin, chez Sognot-Lambert, une bêtise est commise à l’école, on accuse toujours Raymond, éternel fautif même si la rougeole le coince dans son lit. Encore des petites maisons fleuries. La famille Jeanney, notre minutieuse couturière et puis la famille Denizot-Loiget, notre cuisinière préférée. Elle réussissait à satisfaire tout le monde pour les « communions » surtout. Pensez ! Toutes les
familles en même temps, avec ses spécialités : le pâté en croûte et sa grande taille, le gros biscuit mousseline si bien décoré, sans oublier les civets de toutes sortes avec les rosés des prés et les chanterelles de Chailluz. La bonne odeur nous accompagnait jusqu’à la petite barrière abritée. Et puis, juste en face, entourée de ses grands prés, la ferme Vuillemin dominait l’endroit comme le lycée qui la remplace.
Quand je vous aurai dit que les soirs d’été, on jouait tous ensemble à la « balle au prisonnier » dans notre chemin des Courtils, vous saurez tout. Pas de nostalgie bien sûr. Mais aujourd’hui, les vitres fumées des voitures empêchent de reconnaître les gens. Les écouteurs accrochés aux oreilles empêchent de les entendre. Tout de même, on se fréquentait plus facilement dans notre chemin des Courtils !
Michelle Rollet et Michel Jeannin / Parenthèse n°6 (Décembre-Janvier-Février 2011/2012)