L’entre-deux

Sur la paume de ses mains, la tante Gaby dispose avec délicatesse les deux morceaux blessés du napperon, tenus seulement par les fils de broderie. Coton perlé, solide et coloré : Point de tige ? Point de chaînette ?
Point de tige pour les fleurs imprimées éparses sur le tissu dégotté dans le sac à chiffons parmi les morceaux de toile conservés là, parce que « ça peut toujours servir ». Pièce choisie par la petite fille pour sa douceur et ce blanc cassé sur lequel l’encre violette du motif, derrière le carbone, s’inscrira bien nettement. Point de chaînette pour les pétales des fleurs, belles déjà par cette disposition lancée avec liberté.

C’est trois mois auparavant que la petite fille résolue, avait décidé de confectionner elle-même pour sa maman, un napperon à I’occasion de la fête des mères.

Elle s’installe dans le renfoncement que le mur épais de la ferme permet, éclairée d’un côté par la fenêtre sur le verger et de I’autre, abritée des regards par les grands doubles rideaux.

Toute la discrétion était possible. ll s’agissait de ne rien laisser voir. De la surprise, aussi, dépendait la réussite. En route pour un travail minutieux !

Avec toute l’application nécessaire aux petits doigts, encore peu expérimentés et parfois malhabiles : et le fil qui s’échappe et le chas de l’aiguille toujours trop petit et I’extrémité du fil rétréci par les dents jointes et recommencer encore et encore…

Le travail, lui, avance, avance : Points de tige, Points de chaînette. lls ont bien résisté, eux.

À force de manipulations, il avait bien fallu laver quelque peu I’ouvrage au savon de Marseille, le rincer à plusieurs eaux, tirées de la citerne avec la pompe, et comme elle avait vu faire tant de fois par sa maman, tirer sur le linge avant de le sécher sur le fil métallique au-dessus du pré.

La suite dans le prochain numéro.

Michelle Rollet / (Juin-Juillet-Août-Septembre 2013)